Augmentations des coûts et du financement de la gestion des déchets : quels enjeux pour le service public ?

Chronique de l'économie circulaire n°3

 Avril 2025   Aurélie Tupek

Les collectivités locales font face à une tension budgétaire croissante (voir chronique de la fiscalité locale n°15). Le service public de prévention et de gestion des déchets n’y échappe pas bien qu’il possède un financement en propre et ciblé : la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères ou la Redevance d’Enlèvement des Ordures Ménagères. Inflation, fiscalité et évolutions règlementaires pèsent aujourd’hui fortement sur la construction budgétaire du service public. 
Cette troisième chronique propose de mettre en exergue l’évolution des coûts sur un échantillon constant de collectivités ainsi que l’impact sur le financement du service public.   

Coûts : évolutions à échantillon constant 

Compétence obligatoire pour les intercommunalités, le service public de prévention et de gestion des déchets (SPPGD) est généralement leur premier poste de dépenses. La tendance à l’augmentation des charges et l’inflation impactent les coûts des principaux postes de fonctionnement du service public : salaires, marchés de prestation de service, carburant... De plus, le renforcement des protections environnementales (mise aux normes et renouvellement des équipements, nouvelles obligations de service) oblige également les intercommunalités à investir régulièrement et se réorganiser pour maîtriser au mieux les augmentations de coûts.  

Si les référentiels régionaux donnent des informations sur une année concernée (2015, 2019 et 2022), il est nécessaire d’analyser les évolutions sur un échantillon constant pour mesurer la teneur réelle de ces augmentations. 

Grâce à l’outil Matrice des coûts de l’ADEME, il est possible d'observer et analyser finement les coûts et leurs évolutions (pour en savoir plus). 

L’analyse réalisée a porté sur 17 EPCI à compétence collecte ou collecte & traitement afin de couvrir l’ensemble des coûts du service public. Cela représente 4,1 Millions d’habitants desservis (population municipale 2022) soit 40% de la population francilienne hors Paris. Le périmètre étudié englobe la totalité du coût de gestion du service financé par la TEOM, incluant les déchets ménagers ainsi que d’éventuels services annexes comme les services techniques ou encore les dépôts sauvages.  

Ainsi, entre 2019 et 2023, le coût aidé* hors taxes en €/habitant médian est passé de 96 € à 109 € ce qui correspond à une augmentation de 13%. Nous pouvons relever la même tendance concernant le coût TTC, même si les divers mécanismes de TVA réduite ont permis, depuis 2021, de limiter la hausse des coûts sur ce point en favorisant les opérations de prévention et de recyclage.  

*  Le coût aidé correspond au coût restant à la charge de la collectivité (charges – recettes liées à l’activité déchets pour l’ensemble des flux), qui doit être financé par la TEOM (Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères), la REOM (Redevance d’Enlèvement des Ordures Ménagères), la Redevance Spéciale, les contributions aux syndicats, les facturations aux usagers. l'ensemble des définitions concernant les coûts (https://www.sinoe.org/indicateur/fiche-indicateur/id/61).

 

 

 

Si l'inflation pèse significativement sur les coûts opérationnels, celle-ci impacte surtout les indices de révisions utilisés par les collectivités pour l’achat d’équipements et de prestations de service. Ainsi, une corrélation existe avec les évolutions au regard de l’indice des prix à la consommation, mais également de l’évolution des indices de prix, parfois volatils.  

Pour rappel, la majorité des intercommunalités franciliennes font appel à des marchés de prestation de service pour la collecte et/ou le traitement des déchets. Concernant la partie collecte, chaque marché public est soumis à une révision régulière des prix sur la base d’indices déterminés par la collectivité. Les indices que l’on retrouve le plus souvent pour ces prestations : ICMO3 pour la main d’œuvre, FSD3 pour les frais divers de la prestation ou encore pour le carburant 1870 pour le Gazole, l’indice du CNR pour le GNV ou l’indice INSEE 10764288 pour l’électricité.

Ces indices, intimement liés aux mécanismes de marché, impactent donc généralement à la hausse les coûts des prestations. Le choix des indices et de la formule de révision est donc important afin de pouvoir limiter les augmentations tout en restant cohérent avec la réalité du marché. Ainsi, sur la base d’une formule de révision généralement utilisée*, l’augmentation du prix du marché entre 2019 et 2023 peut osciller entre 20 et 28% selon le mode de carburation des véhicules utilisés.


 

Les augmentations mesurées sont-elles similaires selon les territoires ? Les collectivités à forte densité présentent-elles une évolution différente ?
Le coût aidé de gestion médian des collectivités de typologie urbaine demeure toujours inférieur à celui des collectivités de typologie mixte et l’analyse révèle cependant une variation plus faible pour les collectivités de type urbain (+ 11%) contre 17 à 19% pour les collectivités de typologie urbain dense et mixte.   

L’analyse des évolutions a aussi été réalisée de manière plus fine à l’échelle des différents flux et étapes techniques de gestion des déchets. On observe ainsi une augmentation notable du coût des flux Verre, Emballages/Papiers et déchèteries.
Si pour les emballages l’augmentation du coût peut être en partie attribuée à l’augmentation des tonnages collectés mais également à l’augmentation du taux de refus, les autres flux montrent au contraire une diminution des ratios de collecte. L’essentiel de cette augmentation est relatif au poste « transfert - traitement » qui représente entre 44 % et 67 % des charges globales du service public (Analyse effectuée sur 10 des 17 des EPCI de l’échantillon ne possédant pas de regroupement entre les coûts et les recettes liées au traitement des déchets).

La hausse significative de la fiscalité concernant l’incinération et le stockage a particulièrement contribué à cette progression. Par ailleurs, le niveau exceptionnel de recettes enregistrées en 2022 ne s’est pas maintenu en 2023. En effet, les recettes issues des reventes d’énergie ou de matières perçues pour le service public ont fortement diminué, impliquant un coût aidé à financer plus important.  

Quelle évolution du montant des financements ?

Pour financer la gestion des déchets, plusieurs modes de financements sont mis à disposition des collectivités : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères [TEOM] ou la redevance d’enlèvement des ordures ménagères [REOM], qu’elle soit incitative ou non, mais également la redevance spéciale [RS] pour financer la gestion des déchets des producteurs non ménagers.  

En 2023, à l’échelle francilienne, la TEOM est le levier largement privilégié par les collectivités : 97% des communes lèvent en effet directement ou indirectement cet impôt pour un montant prélevé de près de 1,84 milliards d’euros.

Le coût du service public à financer dépend ainsi de l’évaluation qui en est faite par la collectivité, qui tient compte ainsi du triptyque : périmètre / typologie des dépenses / taux de couverture du service par le financement. Pour faire face à l’augmentation des coûts, les collectivités peuvent faire des choix en termes de diminution des dépenses mais également d’augmentation du niveau de financement. Pour ce qui concerne la TEOM, l’évolution du produit de la TEOM est la résultante des variations observées sur deux paramètres :

  • L’assiette de la taxe c’est-à-dire les bases foncières (valeurs locatives) entrant dans le champ d’assujettissement de la taxe ;
  • Les taux votés chaque année en assemblée délibérante s’appliquant sur les communes.

Les taux de TEOM étant fixés en fonction des bases locatives mais également du produit attendu, ces derniers diffèrent selon les EPCI ayant institué la TEOM.

Le produit de la TEOM a enregistré une hausse de 22 % entre 2019 et 2023, portée principalement par l’évolution des bases mais également par l’augmentation des taux votés. Alors que les taux de la TEOM étaient restés globalement stables, voire en baisse, jusqu'à 2019, la hausse significative des coûts de gestion des déchets a rendu nécessaire leur révision à la hausse pour maintenir l’équilibre budgétaire jusqu’en 2022. Cependant, entre 2022 et 2023, l’augmentation marquée des bases fiscales a eu pour effet mécanique une baisse moyenne des taux de TEOM, bien que le produit global perçu par les collectivités ait pu continuer à augmenter pour financer le SPPGD (Plus d’infos).

Sur les territoires de l’échantillon concernés par l’analyse des coûts, si l’augmentation moyenne du coût calculé via la méthode matrice des coûts est en moyenne de 21%, le montant de la TEOM a lui progressé de 26%. Cette différence peut s’expliquer par une méthode de calcul des coûts du service différente de la méthode harmonisée de l’ADEME, privilégiant une approche comptable plutôt qu’économique. Mais également peut se justifier par une volonté politique de financer le service de manière plus ou moins étendue, en fonction du niveau de contribution souhaité du budget général. En effet, sur certains territoires, la TEOM n’était pas instituée sur certaines communes en 2019 ce a pu engendre une augmentation importante du montant de TEOM perçu, sans pour autant modifier de manière significative l’impact pour les usagers concernés.

Quels enjeux pour le service public ?  

Les contraintes budgétaires ne cessant de s’accroître, les territoires ont un fort besoin de résilience pour continuer à maintenir un service public adapté aux besoins des usagers et aux règlementations en cours et à venir.  

En plus d’une inflation constante, le montant de la TGAP atteindra en 2025 à son niveau le plus haut, avec 25 €/tonne pour l’incinération et 65 €/tonne pour le stockage des déchets. Par ailleurs, les obligations règlementaires visant à réduire des quantités enfouies ont conduit à une réforme supplémentaire liée à la TGAP introduisant ainsi un malus sur les tonnages entrants en installation de stockage sous certaines conditions (voir chronique n°1). 

Bien que les performances de collectes sélectives soient en légère augmentation, elles restent insuffisantes comparé au gisement restant à capter dans les ordures ménagères résiduelles. Ainsi, en Île-de-France, 2/3 des emballages recyclables ne sont toujours pas triés, ni valorisés. Le déploiement limité de solutions pour le tri à la source des biodéchets implique également un retard sur le captage des déchets alimentaires qui représentent près d'1/3 des ordures ménagères résiduelles.  

Tous ces facteurs expliquent ainsi que l'augmentation de la fiscalité sur la part résiduelle des déchets joue à plein dans les tendances du coût de la gestion des déchets.  

 

 

 Aurélie Tupek  #Déchets #Économie #Financement 
@ ORDIF / L'Institut Paris Region

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