Tarification incitative : quelles nouvelles opportunités pour les territoires ?

Chronique de l'économie circulaire n°2

 13 juin 2024   Aurélie Tupek

Afin d’accélérer les efforts en termes de réduction des déchets et d’amélioration des performances de tri, la tarification incitative permet aux usagers du service public de gestion des déchets de payer en fonction de leur production réelle. La loi de transition énergétique pour une croissance verte a ainsi fixé un objectif de généralisation de ce mode de financement : 25 millions de Français devront être soumis à une tarification incitative en 2025 dont 1,8 million en Île-de-France.
En concertation avec les élus en charge de la collecte et du traitement des déchets franciliens, la Région Île-de-France a décliné dans le Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) d’Île-de-France cet objectif pour son territoire : 1,8 million d’habitants en 2025 (15% de la population) et 3,6 millions d’habitants en 2031 (30% de la population).
En parallèle, après plusieurs tentatives menées par les associations de collectivités de faire évoluer la règlementation relative au déploiement de la tarification incitative, la nouvelle loi de finances 2024 comporte des nouveautés majeures qui devraient faciliter le développement de ce mode de financement.

Cette deuxième chronique propose de rappeler tous les grands enjeux autour de la mise en œuvre de la tarification incitative mais également de détailler le potentiel supplémentaire de son déploiement en Île-de-France.

Tarification incitative : quels objectifs régionaux ?

Le financement incitatif concernait historiquement la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM). Il permettait ainsi d’instaurer, en plus de la part fixe d’abonnement, une part variable, dite incitative, en fonction de l’utilisation du service : volume de bacs installés, nombre de levées de bacs ou poids collecté.

Depuis 2012, les intercommunalités peuvent aussi intégrer une part incitative dans leur financement par la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) : la part fixe est ainsi toujours représentée par la TEOM, une première facilité de mise en œuvre est ainsi proposée.

À l’échelle régionale, comme le prévoit le code de l’environnement, la Région Île-de-France, en charge de la planification, a décliné l’objectif national en fonction des spécificités du territoire francilien.

Comme précité, le PRPGD a fixé 3 objectifs opérationnels tenant compte de la densité de population et de la typologie de l’habitat francilien qui rend plus complexe le déploiement de la tarification incitative (TI) :

  • 100% des territoires engagés dans une étude de faisabilité en 2025

  • 15 % de la population en 2025 (soit 1,8 millions d’habitants)

  • 30 % de la population en 2031 (soit 3,6 millions d’habitants)

Si les objectifs de déploiement de la TI s’inscrivent comme un levier majeur pour réduire les déchets ménagers et assimilés et améliorer les performances de tri, l’objectif régional d’engager 100% des collectivités franciliennes dans une étude de faisabilité répond à un double enjeu :

  • Identifier les besoins d’optimisation du service de prévention et gestion des déchets ;
  • Avoir une vision prospective de l’activité et de l’impact de la mise en place d’une tarification incitative.

Cette étape est essentielle pour favoriser une bonne appropriation des enjeux et une aide à la décision globale.

Malgré les objectifs fixés, les enjeux autour de la réduction des déchets et la dynamique enclenchée par certains territoires, la TI est un mode de financement qui a du mal à trouver sa place, particulièrement en Île-de-France où la densité de population et la typologie d’habitat rend plus complexe son déploiement.

Un déploiement timide en Île-de-France

Même si quelques intercommunalités franciliennes ont été avant-gardistes, la dynamique générale avait été peu soutenue depuis 2014.
Avec l’adoption du PRPGD fin 2019 et la relance d’une animation régionale portée notamment par la Région Île-de-France et l’ADEME, on note un certain regain d’intérêt.

 En 2022, la part de la population couverte par une tarification incitative en Île-de-France est de moins de 1% (contre 7% en France métropolitaine). Plusieurs territoires se sont engagés dans des démarches liées à la TI (mise en place totale, partielle ou étude de faisabilité), ce qui, à échéance 2027, concernera plus de 220 000 habitants.

 On observe également une dynamique timide sur la réalisation des études de faisabilité. À ce jour, 15 territoires se sont engagés dans une étude représentant 26% des intercommunalités franciliennes et 4,3 millions d’habitants (soit 35% de la population francilienne), loin des 100 % attendus en 2025.  

Pour suivre et favoriser le déploiement de la dynamique de tarification incitative sur le territoire, la Région Île-de-France, l’ADEME, l’ORDIF et CITEO ont développé une animation régionale, se déclinant en plusieurs outils ou événements :

● Fiche d’analyse des fichiers fonciers ;

● Outil de ciblage des collectivités : en fonction de critères de performances techniques, économiques, organisationnels mais aussi fiscaux, l’outil défini un scoring permettant de mettre en valeur les collectivités où les conditions d’une mise en œuvre facilitée sont réunies ;

● Visites apprenantes sur les territoires engagés : l’objectif étant de pouvoir présenter un retour d’expérience réel sur les sujets opérationnels de mise en œuvre ;

● Webinaires et ateliers techniques : pour permettre aux collectivités de mieux appréhender les enjeux et les impacts et d’avoir des réponses aux questions relatives au déploiement de la TI ;

● Communication régulière sur les aides aux études proposées par la Région Île-de-France et l’ADEME.

Cependant, il reste encore des efforts à fournir afin d’atteindre les objectifs régionaux et nationaux.
Comment les nouvelles dispositions de la loi de finances peuvent-elles contribuer à dynamiser le déploiement des financements incitatifs ?

Quelles nouveautés pour faciliter la mise en œuvre dans les territoires ?

La nouvelle loi de finances 2024 propose des évolutions permettant de favoriser les réflexions et la mise en œuvre de la tarification incitative.

En effet, à la suite de la grande réforme de l’intercommunalité de 2016 (Loi NOTre), des difficultés sont apparues pour les territoires qui pouvaient disposer de plusieurs modes de financement. La loi leur a donné un délai d’harmonisation (5, puis 7 ans). Par conséquent, certains territoires ont été tentés de supprimer les financements incitatifs (par facilité afin d'atteindre les objectifs d’harmonisation).
Désormais, il est possible de maintenir, sans condition de délais, plusieurs modes de financement sur une même intercommunalité lors d’une fusion de périmètre.

De plus, la mise en œuvre de la TI dans les intercommunalités urbaines est un sujet récurrent de questionnement. Le déploiement en habitat collectif peut être plus complexe avec un impact parfois relatif en termes d’incitation.

Si certains territoires se sont pour autant engagés, un certain nombre d’autres territoires ont exprimé, via les associations de collectivités, un besoin de territorialiser la TI (communes propices ou volontaires). En effet, si la possibilité d’expérimenter durant 7 ans ce mode de financement sur un territoire partiel existe, pérenniser la démarche n’était pas possible.  

Désormais, la loi de finances propose un assouplissement de cette territorialisation : si un EPCI souhaite s’engager à long terme dans une tarification incitative partielle, il sera ainsi possible de l’instaurer uniquement pour les communes ayant une part d’habitat collectif inférieur à 20%.

Ce critère, qui pourrait rendre plus simple le déploiement sur le long terme d’un mode de financement incitatif reste cependant restrictif car il ne laisse pas de marge de manœuvre aux communes volontaires qui auraient un taux d’habitat collectif supérieur à 20% et impose à toutes les communes ayant un taux inférieur de s’engager.

Aussi, si l’objectif de la loi était de répondre aux enjeux et contraintes des territoires, pour autant la différenciation ne s’effectue qu’à l’échelle des communes, et non pas encore des quartiers ni des typologies d’habitat comme peuvent le demander plusieurs associations de collectivités.

Il est aussi important de rappeler que l’application de la loi n’est qu’une possibilité offerte aux territoires : si la loi de finances 2024 reste une possibilité pour faciliter la mise en œuvre sur un territoire, elle n’exclut pas la mise en œuvre sur des communes de plus de 20% d’habitat collectif par le biais d’expérimentations (à l’instar de la Communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc qui a déployé ce mode de financement sur 8 de ses 18 communes).

Quelles conséquences en Île-de-France ?

L’analyse suivante met en valeur uniquement le potentiel de déploiement d’une tarification incitative dans le cadre d’une application stricte de la loi de finances 2024.

Pour chaque EPCI à fiscalité propre ayant la compétence collecte des déchets, l’ORDIF a relevé l’ensemble des communes ayant un taux d’habitat collectif inférieur à 20% qui serait donc un potentiel de déploiement. Cependant, le déploiement d’un tel projet nécessitant des investissements, il est important que les conséquences techniques et économiques impactent efficacement le territoire, tant en termes de performances de réduction et de valorisation, qu’en terme de maîtrise des coûts. Ainsi, 2 analyses ont été réalisées :

 La première analyse a été effectuée sur la base de la part de population habitant dans une commune ayant un taux d’habitat collectif inférieur à 20%. Ainsi, 18 intercommunalités ont plus de 10%* de leur population située dans des communes ayant un taux d’habitat collectif inférieur à 20% : en application stricte de la réforme, le potentiel global est de plus de 600 000 habitants.

La seconde analyse a été effectuée sur la base de la part des communes disposant d’un taux d’habitat collectif inférieur à 20%.
Ainsi, 23 intercommunalités ont plus de 10% de leurs communes avec un taux d’habitat collectif inférieur à 20% : en application stricte de la réforme, le potentiel global est de plus de 700 000 habitants.

Au total, l’impact de l’application stricte de la réforme reste relatif par rapport aux objectifs régionaux. Cependant, ces analyses ne sont qu’un reflet de l’application potentielle des nouvelles dispositions définies dans la loi de finances et ne prennent pas en compte, ni d’une part les performances actuelles des intercommunalités à compétence collecte, aux plans technique et financier, ni d’autre part les territoires urbains volontaires dans le déploiement d’une telle tarification.   
Seule une étude de faisabilité réalisée par les EPCI permettra de définir si les conditions de mise en œuvre sont réunies.

L’implication forte des acteurs régionaux sur le sujet et la participation accrue des collectivités aux événements organisés montrent un regain d’intérêt qui, potentiellement, pourrait augmenter le nombre de territoires engagés.


Le choix a été fait de ne pas prendre en compte les territoires à moins de 10% pour des raisons d’efficacité opérationnelle de la démarche de territorialisation.

 

 

 Aurélie Tupek  #Déchets #Économie #Financement 
@ ORDIF / L'Institut Paris Region

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