Transformation du métabolisme régional : l'Île-de-France est-elle plus circulaire qu'avant ?

Note rapide Environnement, n° 1018

04 décembre 2024ContactVincent Augiseau (Président de CitéSource), Léo Mariasine, Martial Vialleix, Tidiane Gaye

La transition vers l’économie circulaire et, plus globalement, la transformation du métabolisme francilien, suppose de réduire la consommation de ressources et la production de déchets générées par les activités et les populations. Loin de se limiter à la gestion des déchets, cette transition implique ainsi une sobriété à toutes les échelles, que les acteurs publics tentent d’impulser à travers différents plans et stratégies. Toutefois, face à un objectif aussi global, les politiques publiques manquent d’indicateurs pour évaluer l’efficacité de leurs démarches. Missionnés par la Région Île-de-France et l’Ademe, L’Institut Paris Region et CitéSource ont réalisé un nouveau bilan de flux d’énergie et de matières, dont les résultats dévoilent certaines évolutions essentielles pour comprendre la transformation du métabolisme francilien depuis 2015.

Les enjeux de gestion et d’utilisation des ressources naturelles posent des défis à toutes les villes mondiales, « ogres métaboliques » générant d’importants flux d’énergie et de matières pour répondre à leurs besoins. Malgré des spécificités (densité des populations et des emplois, perdurance d’un hinterland rural1 …), l’Île-de-France n’échappe pas à la règle. La Région cherche à impulser des modèles plus circulaires de gestion des ressources, du Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) à la Stratégie régionale d’économie circulaire (SREC), tandis que les collectivités et territoires œuvrent aussi à mettre en place des projets et stratégies locaux. Dans ce contexte, L’Institut Paris Region a été missionné pour préfigurer un Observatoire des ressources, outil d’une nouvelle génération qui articulerait différents champs d’observation en vue d’une approche plus systémique du métabolisme régional : suivi des consommations de ressources naturelles, et mise en évidence des conflits d’usage, des complémentarités, voire des synergies possibles entre les ressources franciliennes. Pour ce faire, L’Institut Paris Region a développé une méthodologie inédite d’observation, dont l’étape maîtresse repose sur l’actualisation et l’amélioration par le bureau d’études et de recherche CitéSource du précédent bilan de flux de matières francilien, réalisé en 2018 et portant sur l’année 2015. Le bilan consiste, notamment, en une quantification des entrées de ressources sur le territoire francilien (extractions de matières et importations) et des sorties (exportations et rejets locaux vers la nature, dont émissions de gaz à effet de serre). Grâce à l’expertise de CitéSource, il a été possible d’améliorer le précédent bilan de flux, avec une mise à jour des données, l’ajout de l’eau et des ressources énergétiques, mais également des informations sur l’origine et la destination des flux. Cette note délivre une partie des résultats de l’étude, qui révèlent plusieurs tendances essentielles pour comprendre le métabolisme de la région Île-de-France : intensité de la consommation de ressources, externalisation du métabolisme francilien, affaiblissement des capacités extractives, hausse de la valorisation des déchets… Portant sur l’année 2021, les nouveaux résultats dévoilent des évolutions depuis 2015, qu’il importe de considérer pour penser les futures stratégies d’économie circulaire, en vue d’enrayer les tendances néfastes et de prolonger les dynamiques vertueuses.

L’ÎLE-DE-FRANCE, UN « OGRE » QUI CANALISE SA FAIM

L’Île-de-France présente un métabolisme territorial caractérisé par une importante consommation directe et indirecte de ressources matérielles et énergétiques. La consommation intérieure de matières est de 61,3 Mt en 2021, soit un maintien relatif par rapport à 2015 (63,7 Mt), alors même que la population a augmenté. Les premières analyses du métabolisme francilien, qui remontent aux années 2000 (Barles, 2007), estimaient cette consommation à plus de 70 Mt. Bien que les méthodes et données utilisées ont, depuis, largement évolué, rendant une comparaison précise très délicate, un regard sur le long terme suggère une tendance à la baisse de la consommation intérieure de matières francilienne, dans ce foyer historique du développement des études de métabolisme territorial.
La consommation intérieure de 2021 est majoritairement (près de 50 %) composée de minéraux non métalliques et de produits à dominante non métallique, catégorie dans laquelle se trouvent les matériaux de construction (sables, graviers…) et les ressources minérales dédiées à l’industrie (gypse, silice…). Ainsi, le secteur du BTP a mobilisé environ 25 Mt de matériaux de construction en 2021, hors matériaux issus du recyclage, soit près de la moitié de la consommation intérieure de matières en Île-de-France. La biomasse issue de l’agriculture ainsi que la biomasse forestière comptent pour environ 25 % de la consommation intérieure de matières, suivies par les énergies fossiles (entre 20 et 25 %). La consommation directe de l’Île-de-France est cependant relativement faible par rapport à celle des autres régions françaises lorsqu’elle est rapportée à l’habitant (5 t/hab.), en raison de deux facteurs principaux : d’une part, la densité humaine et urbaine de la région capitale, dont les logements sont plus collectifs et plus petits, l’étalement urbain moindre, et où les travaux routiers sont moins développés que dans d’autres régions françaises ; d’autre part, des activités économiques, à l’exception du BTP, relevant majoritairement du secteur tertiaire et mobilisant à ce titre des matières premières moindres que l’agriculture ou l’industrie, ce qui engendre des flux de matières plus faibles.
Ainsi, l’Île-de-France reporte sa consommation de ressources sur d’autres territoires. La région consomme en grande partie des produits finis, ce qui engendre des flux indirects de matières en amont dans les autres territoires qui l’approvisionnent. En prenant en compte ces flux indirects associés aux importations et exportations, l’ « empreinte matières » francilienne s’élève en 2021 à 148 Mt, soit 12 t/hab. À l’instar de la consommation directe, l’empreinte matières connaît un léger recul, estimé à -6 % depuis 2015 (153 Mt pour 12,7 t/hab.). Cette diminution doit néanmoins être considérée avec prudence, en raison de l’imprécision de certaines données actuellement disponibles. Par ailleurs, l’écart important entre la consommation directe de l’Île-de-France et son empreinte matières témoigne d’une dépendance encore forte de la région aux territoires extérieurs pour son approvisionnement.

UN MÉTABOLISME EXTERNALISÉ, UNE EXTRACTION LOCALE FRAGILISÉE

À l’instar des autres régions-monde2, l’Île-de-France dépend en grande partie de l’extérieur pour s’approvisionner, les importations de matières3 s’élevant à 38,3 Mt (3 t/hab.) en 2021. De nombreux travaux scientifiques4 ont analysé ce qui constitue une véritable mosaïque de territoires contribuant à l’approvisionnement francilien pour subvenir aux besoins régionaux en matières et énergie. Cette dépendance aux territoires extérieurs est à mettre en relation avec un affaiblissement des capacités extractives de l’Île-de-France. L’extraction intérieure passe de 25,7 Mt en 2015 à environ 23 Mt (2 t/hab.) en 2021 (-10,6 %). La chute de l’extraction intérieure concerne principalement les granulats de carrières (-31 %), ainsi que le bois d’œuvre (-27 %) et les combustibles fossiles (-26 %). Les récoltes agricoles, en revanche, sont stables. Ces résultats s’inscrivent dans la continuité d’une tendance observée depuis une quarantaine d’années : entre l’urbanisation et le recul de l’industrie productive sur un territoire où le foncier est cher, la région capitale est de moins en moins en capacité de produire elle-même les flux de matières et d’énergie qu’elle nécessite pour son fonctionnement.

 

 

Pour les granulats, le taux d’importation, qui était de 45 % depuis les années 2000, a dépassé le seuil symbolique de 50 % en 2018. Entre 2015 et 2021, l’extraction de granulats de carrières est passée de 10 Mt à 7 Mt, avec une importation croissante depuis des zones plus éloignées (nord de la France et Belgique) que les régions limitrophes, qui dominaient jusqu’à présent. Les mêmes constats peuvent être dressés sur les flux agricoles et énergétiques. Ainsi, en rapportant la production agricole à la consommation francilienne, 12 % de la consommation locale est couverte en théorie par la production agricole locale5. Cette proportion varie néanmoins selon la culture considérée. Les exploitations céréalières franciliennes produisent environ 2 Mt de blé par an, ce qui correspond à 159 % de la consommation régionale. De l’autre côté, le taux de couverture théorique de la consommation de fruits et de légumes n’est que de 2 %. Par ailleurs, en 2021, 16 Mt de combustibles ont été consommés, soit 1,3 t/hab. Ces ressources proviennent à plus de 98 % de territoires extérieurs à la France, et sont importées depuis des pays particulièrement lointains : pour Paris en 2006, la distance moyenne pondérée d’approvisionnement est d’environ 4 000 km pour les produits pétroliers, 2 500 km pour le gaz et 6 000 km pour le charbon6. Pour l’ensemble des ressources énergétiques, la distance moyenne d’approvisionnement est de 3 850 km.
En 2021, selon les données disponibles à l’échelle de la France, l’Afrique représente 37 % des importations de pétrole, avec des flux issus de l’Algérie, du Nigéria et de la Libye. Les importations de gaz naturel proviennent en majorité de Norvège (32 %) et de Russie (22 %). La Russie domine également dans les importations de charbon (30 %), suivie par l’Afrique du Sud (28 %). Enfin, les minerais et les produits métalliques proviennent à plus de 92 % de l’extérieur de la région, notamment de l’étranger, dans des territoires où les industries liées à ces matières sont plus développées.

 

 

UNE MINE URBAINE AU POTENTIEL IMPORTANT

Si les quantités de déchets produites en Île-de-France demeurent élevées, de récentes dynamiques de valorisation sont à souligner. Au total, la valorisation des déchets franciliens passe de 22,4 Mt en 2015 à 28,9 Mt en 2021 (2 t/hab.), soit une augmentation de 29% en cinq ans. En particulier, le recyclage local augmente de 31 % depuis 2015, passant de 8,7 Mt à 11,5 Mt de matières recyclées (1t/ hab.) en 2021. On constate par ailleurs, entre 2015 et 2021, une substitution partielle des granulats de carrières extraits en Île-de-France (-31% ) par des granulats issus du recyclage local de déchets de chantiers (+20 %). La part des matières issues de valorisation dans la consommation du territoire augmente, ce que traduit l’indicateur « taux d’utilisation circulaire », passé de 12,3 % en 2015 à 15,8 % en 2021 (+28 %).
Ces tendances vertueuses sont d’autant plus nécessaires que l’Île-de-France constitue une importante mine urbaine, pour les matériaux de construction mais également pour les métaux rares et stratégiques. Ainsi, le « stock » de matériaux de construction (béton, pierre, granulats routiers, enrobés…) contenus dans les infrastructures et les logements franciliens (habitat, transports, locaux d’activités…) s’élève à 2 169 Mt, soit 175 t/hab. À l’heure d’une réduction des capacités extractives franciliennes, et d’un renchérissement des coûts de production et d’importation des matériaux neufs, un tel stock potentiel en matériaux secondaires doit motiver la poursuite des pratiques de valorisation (recyclage, réemploi et réutilisation), sans pour autant perdre de vue la sobriété. En effet, en dépit d’une progression du recyclage local, ce dernier ne représente que 8,9 Mt sur les 33 Mt de déchets de chantiers produits en 2021.
Plus globalement, le recyclage pèse moins de 20 % de la consommation intérieure de matières, ce qui montre qu’il est non seulement encore insuffisamment développé mais, surtout, que l’enjeu premier pour dématérialiser le métabolisme régional relève bien d’un renforcement de la réduction des consommations, comme cela semble être le cas depuis quelques années.

 


De même, une modélisation des flux de matières a permis de quantifier les métaux contenus dans les véhicules ainsi que les équipements électriques et électroniques, notamment les métaux critiques (lithium, nickel, chrome ou bronze). Au total, environ 600 kt de métaux ferreux et non ferreux, mais également de plastiques, bois, caoutchouc, verre… composent les véhicules et équipements neufs achetés par les Franciliens, pour seulement 290 kt de matériaux issus des véhicules et équipements en fin de vie collectés en 2019. Les véhicules et équipements en fin de vie constituent une mine urbaine qu’il importe de valoriser au maximum, alors que la transition énergétique implique une consommation exponentielle de métaux critiques et que l’état global des réserves de métaux est étroitement surveillé à l’échelle mondiale. L’urgence est d’autant plus grande que ces biens de consommation impliquent de très forts flux indirects, c’est-à-dire des flux de matières utilisées pour produire et transporter les produits importés par le territoire. Ainsi, sur les 8,7 kt d’ordinateurs, de téléphones portables et de tablettes achetés par les ménages de la région en 2019, 3 693 kt de ressources (métaux ferreux et non ferreux, combustibles fossiles…) ont été mobilisées pour produire et transporter ces biens de consommation, soit une masse 425 fois supérieure à ce que ces biens pèsent sur le territoire francilien.
Actualiser le bilan de flux d’énergie et de matières avec un intervalle de six ans permet d’identifier des tendances récentes positives, même si elles restent à confirmer. On observe d’abord un maintien de la consommation de matières du territoire francilien alors même que la population augmente, ce qui suggère une relative amélioration du métabolisme régional. Le deuxième élément positif porte sur la hausse du recyclage local, et plus largement des pratiques de valorisation des matières secondaires (réutilisation, réemploi et recyclage).
La hausse de ces pratiques vertueuses porte néanmoins principalement sur les déchets de chantiers et ne doit pas masquer d’autres tendances : ainsi, pour les déchets ménagers et assimilés, les taux de valorisation semblent stagner sur la même période. En outre, les acteurs franciliens conservent d’importantes marges de manœuvre en matière de valorisation de la mine urbaine, à l’heure où l’Île-de-France connaît un affaiblissement de ses capacités extractives et où la production de déchets a par ailleurs très peu diminué depuis le précédent bilan de flux de matières. Par ailleurs, les évolutions mises en évidence dans cette note doivent s’interpréter avec prudence du fait qu’elles sont globalement d’une ampleur proche des marges d’incertitude accompagnant les analyses du métabolisme territorial en général. De surcroît, ces évolutions peuvent être autant le fruit de politiques publiques que de stratégies plus sectorielles, en particulier dans le BTP.
Issue du nouveau bilan de flux d’énergie et de matières francilien, cette note propose des indicateurs pour caractériser les grandes évolutions du métabolisme de l’Île-de-France et aiguiller les politiques publiques pour leurs futurs plans et stratégies. L’étude des ressources consommées directement et indirectement sur le territoire francilien peut également nourrir d’autres analyses environnementales, notamment sur les émissions indirectes de gaz à effet de serre (scope 3). Toutefois, les résultats présentés constituent des indicateurs valables à l’échelon régional, sans précision à l’échelon infrarégional sur les territoires concernés, les acteurs qui mettent en jeu ces ressources, les bassins de consommation… Autant d’éléments nécessaires à la mise en œuvre de politiques territorialisées, à même de cibler des secteurs et des territoires pour développer de nouveaux modèles plus circulaires. La mise à jour du bilan de flux d’énergie et de matières constitue donc un point de départ à une étude plus approfondie de la circulation de chaque flux de ressources, en lien avec les autres, et dans la perspective de créer des synergies et des boucles de valorisation locales.■

1. Arrière-pays rural sous attraction d’une métropole au sein de laquelle il écoule une partie de ses productions agricoles.
2. Expression construite par analogie avec la notion de « ville-monde » dans le contexte francilien. Une ville-monde est une ville qui exerce des fonctions stratégiques à l’échelle mondiale.
3. Les importations de matières comprennent le transit, c’est-à-dire ce qui ne fait que passer par l’Île-de-France.
4. Notamment Billen et al., 2011 ; Kim, 2013.
5. Modélisations réalisées par l’association Les Greniers d’Abondance.
6. Kim, 2013.

DÉFINITIONS

Économie circulaire
L’économie circulaire désigne un système économique d’échanges et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits, cherche à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à réduire les impacts sur l’environnement, tout en accroissant le bien-être des individus. Sept piliers de l’économie circulaire sont définis par l’Ademe: l’extraction et l’approvisionnement durables ; l’écoconception ; l’écologie industrielle et territoriale ; l’économie de la fonctionnalité ; la consommation responsable ; l’allongement de la durée d’usage (réemploi, réutilisation et réparation) ; le recyclage.

Métabolisme territorial
Le métabolisme territorial désigne l’ensemble des flux d’énergie et de matières mis en jeu par le fonctionnement d’une société inscrite sur un territoire.
* Consommation intérieure de matières
Quantité de matières physiquement consommées sur un territoire (la somme de l’extraction intérieure et des importations, à laquelle on retranche les exportations) pour répondre à la demande intérieure en biens et services des agents économiques. Ces matières peuvent être des matériaux de construction, des produits agricoles et alimentaires, des combustibles fossiles et dérivés, etc.
** Empreinte matières
Consommation intérieure de matières à laquelle on ajoute les flux indirects associés aux importations et déduit ceux associés aux exportations.

Mine urbaine
Ce concept vise à mettre en avant les ressources potentielles que constituent les matières présentes dans les espaces urbanisés, telles que les matériaux constituant les bâtiments ou les métaux contenus dans les véhicules et les équipements électroniques. La notion d’« extraction urbaine » (ou « urban mining ») désigne la valorisation systématique de ces ressources.
*** Taux d’utilisation circulaire
Part des matières issues de la valorisation dans la consommation.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Économie verte et circulaire | Environnement urbain et rural | Développement durable | Ressources naturelles | Économie circulaire

Études apparentées